Interférences: Carte blanche à l'artothèque de Vitré

2016-09-07
Présentation

Commissaire : Isabelle Tessier, directrice de l’artothèque de Vitré

En partenariat avec l'association Ville Ouverte, Les Douches la Galerie donne régulièrement carte blanche à une artothèque afin de rendre hommage au travail réalisé par la quarantaine d'artothèques situées dans toute la France et qui jouent un rôle vital dans la diffusion de l’art contemporain. Cette année, nous accueillons l’artothèque de Vitré dont la collection compte plus de 1200 œuvres réparties dans les domaines de l'estampe, la sculpture, mais surtout de la photographie. Sous la direction d’Isabelle Tessier, l’artothèque présente aux Douches la Galerie une sélection d’œuvres de Paul Pouvreau et Édouard Prulhière.

Œuvres
Vues de l'exposition
Communiqué de presse

En mécanique ondulatoire, on parle d'interférences lorsque deux ondes de même type se rencontrent et interagissent l'une avec l'autre. Ce phénomène résulte de la superposition d'ondes de même nature et de fréquences égales (ou voisines), et qui se manifeste par une variation dans l'espace ou dans le temps de l'amplitude de la résultante des ondes.

Pourquoi réunir les œuvres de Paul Pouvreau et d’Édouard Prulhière alors que leurs démarches et leurs pratiques artistiques s’ancrent dans des champs de recherche bien distincts ? Paul Pouvreau explore depuis le début des années 80, des matériaux banals du quotidien tels que des ustensiles ménagers, emballages, journaux, cartons, sacs en plastique pour concevoir des œuvres « à la manière d’un ready-made aidé ». La photographie, médium principal de son travail, tente selon lui « de porter une attention à ces petits riens dans lesquels se loge souvent presque tout ». Il s’intéresse aux formes variées des emballages et à leurs effigies, comme autant de signes visuels dialoguant avec notre espace quotidien. Édouard Prulhière depuis le début des années 90, questionne l’évolution de la peinture à travers ses outils, ses matériaux et ses formes d’où s’extraient notamment le mouvement, la pulsion, la marque immédiate de l’intériorité. Sa peinture se déploie à travers la permanence du geste, c’est-à-dire du corps dans sa relation à l’espace. Chaque geste technique est l’occasion d’une réflexion sur son sens, d’une acquisition de connaissance quant à son histoire. Alors que Paul Pouvreau met en contradiction la simplicité et la banalité des matériaux choisis avec un rendu rigoureux dans la mise en scène, la composition de ses images et dans ses installations où les lignes sont précisément pensées et agencées, Édouard Prulhière n’anticipe pas l’émergence de formes qu’il accomplit, et intègre dans sa démarche la question de l’accident en s’engageant sur la voie du désordre et dans une quête de l’informel.

Au-delà de leurs diversités, les œuvres, le plus souvent, photographiques de Paul Pouvreau et picturales d’Édouard Prulhière ont en commun de rendre compte « d’authentiques problématiques de vision » à travers la question du volume et de l’installation mais également de l’« objet » (du quotidien / de la peinture) et de son recyclage plastique et visuel.

Depuis quelques années, plusieurs composantes du travail de Paul Pouvreau entretiennent des relations assez étroites avec le volume et l’architecture. Selon lui : « cet intérêt s’exprime à la fois par la réalisation de photographies conçues comme une scène construite ou architecturée, dans lesquelles se confrontent les données du réel avec des objets rapportés, généralement des emballages. Cette mise en place de signes divers s’active ainsi dans les photographies de relations plurielles créant des zones d’interférences et ambivalentes entre le naturel et le fabriqué, le réel et la fiction, le sujet et l’objet. D’autre part la présentation du travail s’accompagne souvent par l’installation d’architectures sommaires, réalisées avec des cartons servant ainsi de support à la présentation des photographies ou encore seules, comme contre point à la neutralité abstraite du « white cube » ». Chez Édouard Prulhière, diverses manipulations transposent et questionnent également la relation de la peinture au volume et à l’espace. Certaines de ses œuvres, hybrides, sont nées de « l'accouplement de la peinture et de sculpture ». En quittant leurs châssis d’origine, ses toile déformées, déchirées, retournées se sont fixées sur des châssis trop petits pour elles faisant émerger une tridimensionnalité de la peinture ou se sont structurées en véritables sculptures (Volume paintings) voire en Ballots. Depuis 2006, le déploiement de sa pratique se développe au-delà de ce croisement. Dans ses expositions, quand les lieux et les possibilités se présentent, il engage un travail de peinture ou de dessin directement sur les murs de l’espace qui l’accueille. Ce travail est pour lui « directement relié à la question du paysage à travers l’illusion de l’espace que crée la peinture. Dans cette stratification de sens il s’agit d’investir le développement de la peinture et du dessin au sens large de leur réalité contemporaine et de ce qui constitue la fabrication d’une image. »

Paul Pouvreau et Édouard Prulhière donnent aux éléments qu’ils travaillent une existence propre visant, comme chez le poète Francis Ponge, à atteindre au plus juste la matérialité des objets. Ces objets, qu’ils soient de l’ordre de l’emballage (cartons, sacs) ou du résidu de toiles (de peintures avortées) gardent en eux les spécificités de ce qui les constituent tout en étant investis d’une mise en forme et d’un poids nouvellement acquis. Les photographies de Paul Pouvreau se présentent comme des prototypes de constructions réalisées avec des emballages usagés de produits de consommation du quotidien tel que le carton. Pour lui « le carton est un matériau magique et contradictoire. Il est, à la fois, objet de consommation, éventuellement de luxe, et l’inverse. On le trouve dans l’espace urbain à des niveaux très différents. Par exemple, le carton utilisé par des gens qui se trouvent dans la rue prend, parfois, des formes qui sont, pour moi, éminemment critiques sur l’organisation de la ville. Ces cartons deviennent, parfois, de véritables architectures, étonnantes d’ingéniosité qui coexistent justement avec l’affront des beaux quartiers. »[1] Leur recyclage visuel s’agence principalement par rapport à l’espace photographique où insidieusement, « les signes deviennent des choses tandis que les choses deviennent des signes ». Les photographies s’apparentent ainsi à des constructions visuelles dont les formes et le sens s’appréhendent de façon plurielle et instable, comme autant de couches sensibles à la surface des choses. Plus que des surfaces lisses et vérifiables, les photographies proposent au regard une extériorité à parcourir. Revisitant les lieux communs ou ceux des genres, les photographies se laissent traverser par une perspective qui ne s’organise plus seulement au moyen du seul point de fuite mais par l’ensemble du territoire des images. Chez Édouard Prulhière, la question du recyclage s’élabore à travers la matière et les matériaux mêmes de la peinture : fragments de toiles et de châssis nés d’expérimentations antérieures non-abouties et réinvesties ailleurs. Comme le note Tristan Trémeau : « Prulhière réagit en assumant un désir d’expérimentation, privilégiant l’improvisation, l’informe, l’hybridation et les contrastes de gestes, de formes, de modes de dépôt et d’application de la peinture sur la toile, elle-même manipulée, contournée, renversée pendant le processus de production à la forme des tableaux. Face à ceux-ci, Lamarche-Vadel pressentit « la sonorité renversée de la grande peinture », « dans la décharge, l’abandon, le vomissement, le désastre d’une assemblée de jets et d’écoulements, de maculatures, de souillures et d’abcès qui bavent ». Admirateur et proche de Gérard Gasiorowski, dont Les Tourtes, Les Jus et Les Amalgames des années 70 témoignent d’une même propension à jouer avec virtuosité du chaos et du bas (au sens tant matériel que symbolique), Lamarche-Vadel trouva en Prulhière un héritier de ce désir de se coltiner la dimension organique, basse et informe de la peinture. » [2]

Dans les Douches la Galerie les œuvres de Paul Pouvreau et d’Edouard Prulhière, vont pour la première fois être exposées ensemble, se rencontrer et interagirent les unes avec les autres grâce à leurs capacités à saisir des informations en dehors de leur territoire et à produire des situations aussi bien réelles qu’imaginaires.

 

Isabelle Tessier

Directrice de l’artothèque de Vitré

Commissaire de l’exposition



[1] Extrait du catalogue de l’exposition collective Entre voisins, Galerie Duchamp, Yvetot et BF15, Lyon, 2000, Collection Petit Format, Éd. Galerie Duchamp, Yvetot.

[2] Tristan Trémeau, Peinture métèque in Parallax-Limbo, Filigranes éditions, 2014.